les emprunts dans le langage courant

Le 06/04/2024

Dans le langage des marins

la navigation a fait naître des idées nouvelles, engendrée des mots nouveaux et des locutions à elles propres, c'est la terre qui emprunte à la mer, c'est la langue générale qui puise des termes usuels, des périphrases, des tropes, des images dans ce jargon maritime qu'on malmène si volontiers.

Se doute-t-on que l'on parle en marin, lorsque l'on dit :

J'ai abordé, j'ai accosté un tel;
Cet homme est d'un abord difficile;
Nous arrivons à point;

Il est incontestable, pourtant, qu'aborder, accoster, toucher le bord, toucher la côte, sont des expressions maritimes; arriver, dériver, tirent évidemment leur origine de rivage, rive.

Définition de aborder​​​:

 verbe intransitif:  Arriver au rivage. Aborder dans une île, au port.

 verbe transitif:  Heurter (un navire). ➙ abordage. Se mettre au contact d'un bateau pour l'attaquer.  Arriver à (un lieu inconnu ou qui présente des difficultés). Le pilote aborde le virage avec prudence.

 Aborder qqn, aller près de qqn (qu'on ne connaît pas ou peu) pour lui adresser la parole. ➙ accoster. Être abordé par un inconnu. En venir à…, pour en parler, en débattre. ➙ entamer. Aborder un sujet.

Guinder fut marin avant de passer dans la langue ordinaire où ne l'a pas suivi [Juinderesse, cordage qui sert à guinder, à l'aide du guindeau ou du cabestan? On objectera peut-être que ces machines sont également employées en terre ferme.

Définition de guinder​​​: verbe transitif

 Marine Hisser (un mât).

Élever (un fardeau) avec une machine.

 littéraire Donner à (qqch.) une tenue factice et raide. Guinder son style.

Définition de guindeau​​​: nom masculin

Marine: Treuil à axe horizontal qui sert à manœuvrer les ancres. Des guindeaux.

On objectera peut-être que ces machines sont également employées en terre ferme; ne revendiquons guinder que sous toutes réserves.

gouverner

Gouverner, qui vient de gouvernail, fut vraisemblablement aussi un terme de mer dans le principe. Toutefois, on peut, en remontant jusqu'au grec nous le refuser encore.
Mais piloter, lester, flibuster, sombrer, jeter l'ancre, suivre le courant, sonder le fond, et tant d'autres expressions qu'on emploie journellement en terre-ferme, ne sauraient être contestées.

Lorsque vous dites arborer les couleurs d'un parti, d'une nation,

vous usez d'un vieux terme de mer, car le verbe arborer ne peut dériver que du mot arbor "arbre", pris dans le sens de mât. Le mot arbre a été longtemps le seul nom du mât, on disait l'arbre de mestrc, l'arbre de misaine, etc.

Arbre est encore usité dans la Méditerranée, à bord de certains bâtiments à voiles latines. Les Espagnols ont conservé les mots: arbol, mât; arboladura, mâture; arbolar, enarbolar, mâter.

 arborer

verbe transitif (italien arborare, dresser un mât, du latin arbor, -oris, arbre)

Élever, hisser en haut d'un mât, d'un édifice un drapeau, une bannière, etc. : Navire qui arbore son pavillon.

EXPRESSIONS

Arborer l'étendard de la révolte, de l'indépendance, etc., 

se montrer ouvertement et activement partisan de la révolte, de l'indépendance, etc.

Dans le levant, arborer signifiait encore mâter (dresser, planter le mât).

Ajoutons, que c'est de mestre, maître, en italien, maestro ; que dérive le mot actuel et moderne de mât, primitivement mast, comme l'écrivent encore les Anglais. L'arbre-mestre était le grand mât; par abréviation on supprima le mot arbre, et par corruption l'on appliqua le nom de masto, mast, à tous les arbres.

Matelot provient aussi de la même source, en passant par l'espagnol: mastil, mât, mastelero, mât de hune, — en dépit des grammairiens qui le font dériver de massaliotes, marseillais. Ce substantif, qui sonne si français, est d’origine néerlandaise. Matenoot, au XIIIe siècle, en moyen néerlandais, c’est le compagnon de couche, la personne avec qui on partage son hamac sur les bateaux : l’un dort, l’autre est sur le pont.
En français, le sens originel du mot matelot est d’ailleurs : Homme d’équipage associé à un autre pour assurer alternativement un service.

Si nous disions que les termes de pêche,

tels que ligne, filets, maille, nasse, croc, hameçon, appas, amorce, ont engendré une foule de figures extrêmement usitées, l'on pourrait nous répondre que ces mots ne sont point exclusivement marins, mais qui nous refusera: Échouer dans une entreprise; Se hisser au pouvoir; S'ancrer dans une position; Voguer à pleines voiles vers la fortune, vers le succès; Agir, réussir, marcher contrevent et marée; Cotoyer la misère; Affronter une bourrasque.
Bourrasque, terme vieilli, signifiait, en marine, tourbillon de vent très-violent et de peu de durée. On le confond aujourd'hui fort improprement avec le mol rafale, qui signifie bouffée, et ne devrait jamais l'appliquer à un tourbillon.

bourrasque

nom féminin

Coup de vent violent survenant brusquement : Essuyer une bourrasque. 

Littéraire: Incident brusque et violent de peu de durée : Les bourrasques de l'existence.

On dit indifféremment; un torrent ou une bordée d'injures.

Qu'y a-t-il de plus marin qu'une bordée, c'est-à-dire la décharge simultanée de tous les canons d'un côté du navire? L'on se sert sans cesse des locutions: Lâcher une bordée, envoyer une bordée, citées encore par l'Académie, meilleure autorité en fait de figures empruntées à la marine qu'en fait de définitions maritimes.

Synonymes de bordée: nom féminin

virée

[de jurons, etc.] avalanche, cascade, déluge, flot. 

Marins en bordée. Ils sont joyeux, marins aux verres à vin

 

Armures

Il est difficile de comprendre comment, dans les Dictionnaires, ont pu se perpétuer, d'éditions en éditions, une foule d'erreurs, qui ajoutent à la difficulté qu'on doit avoir à se rendre compte des termes de mer.
Ainsi, par exemple, on y a lu fort longtemps: Amures, trous pratiqués dans le plat-bord d'un vaisseau, etc. » -

Définition de armure​​​ nom féminin

 Harnais protecteur, fait d'un assemblage de plaques, que revêtait l'homme d'armes.

 au figuré Ce qui couvre, défend, protège. 

 Mode d'entrecroisement des fils de chaîne et de trame d'un tissu. Armure toile.

 Musique Ensemble des dièses ou des bémols placés à la clé pour indiquer la tonalité d'un morceau. 

Les amures sont des cordages.

ces erreurs toutefois ont disparus. On les trouve dans les vieux dictionnaires et vocabulaires de marine.
Ainsi: les amures, à une époque fort reculée furent bien réellement des trous pratiqués dans la muraille du vaisseau:

Hunier, voile, etc

On appelle aussi hunier le mât qui porte la hune. » — La première définition est seule exacte; aucun mât ne s'appelle hunier; le mât qui porte la hune est le bas-mât, et le mât qu'on pourrait à la rigueur apppeler mât de hunier, c'est-à-dire le mât de hune, qui est le mât de la voile dite hunier, loin de porter la hune, est en quelque sorte porté par elle, ou, pour mieux dire, paraît être porté par elle.

Définition de hune​​​ nom féminin

Plateforme arrondie fixée au mât d'un navire, à une certaine hauteur. Mât de hune, situé au-dessus de la hune.

Voile carrée du mât de hune.

La définition erronée de hunier s'explique de même; Les huniers sont deux mâts distingués en grand hunier et petit hunier; mais ordinairement par ce mot de hunier, on entend la voile qui y est appareillée. En 1678, il était fort peu usité de donner au mât lui-même le nom de la voile.

L'un des termes de marine le plus connus est celui de sainte-barbe.

Les dictionnaires le donnent pour synonyme des mots Soute-aux-poudres ; on y lit le plus souvent: « Sainte-Barbe, chambre des canonniers, l'endroit du vaisseau où l'on tient la poudre. Nous sommes réduit en définitive, à la cruelle nécessité de déclarer que la soute où les poudres sont arrimées est située dans la cale, doublée de tôle et pourvue de robinets sous-marins pour la noyer au besoin, tandis que les saintes-barbes actuelles n'ont que des rapports éloignés avec ce sombre et formidable magasin.

Sainte-Barbe, patronne des pompiers et des marins-pompiers

Les origines de cette fête remontent au IIIe siècle, en Orient. Barbara était une jeune fille d'une grande beauté. En dépit des nombreuses demandes en mariage qu'elle recevait, elle refusait inlassablement de se marier. Son père, Dioscore, décida alors qu'elle vivrait dans une tour, à l'abri des hommes. Mais un jour, le Christ lui apparut. Barbara décida alors de se convertir au christianisme, et fit percer une troisième fenêtre dans sa tour, symbolisant la Trinité. Son père, fou de rage, décida de la décapiter. Il fut alors immédiatement frappé par la foudre et réduit en poussière.

Depuis, de nombreuses professions, en rapport avec le feu ou la foudre, se sont placées sous la protection de la Sainte-Barbe, surnommée "la Sainte du feu".

La partie du bâtiment la moins exposée aux projectiles ennemis fut consacrée aux poudres; enfin, l'espace qu'elles avaient occupé garda seul le nom de la patronne des artilleurs et devint le logement du maître de canonnage.

Cap

Le dictionnaire de Boiste dit au mot cap: cordage servant à une manoeuvre. Définition qui ne serait à sa place que dans un vocabulaire des termes de mer tombés en désuétude, et qui devrait être accompagnée de l'indication vieux. La plupart des marins ignorent, en effet, que le mot cap ait été, à bord des galères, un terme générique désignant tous les cordages, et qui est la racine des mots câble, et cabestan autrefois capestan. Au mot cape on lit: « la grande voile d'un vaisseau »

La grand-voile qu’on appelle aussi GV est la voile principale située à l’arrière du mât. Elle se hisse le long de celui-ci et est maintenue par la bôme. La GV est la voile la plus polyvalente sur un bateau : elle fonctionne du près au vent arrière. Cette voile est en général équipée de bande de ris pour pouvoir prendre un ris afin de s’adapter à la force du vent et régler sa vitesse. 

 

Définition de cap​​​ nom masculin

 locution De pied en cap : des pieds à la tête 

 Pointe de terre qui s'avance dans la mer. 

 Limite. locution, au figuré Franchir, dépasser le cap de la trentaine.

 Direction d'un navire. Mettre le cap sur : se diriger vers.

 

Les vieux vocabulaires nautiques ont fourni aux auteurs de glossaires et de lexiques des mots dont ils recopient textuellement la définition, tandis que les progrès de l'art naval sont incessants, et que la langue technique se transforme en conséquence. De là, une foule d'hérésies qui choqueront les marins d'autant plus qu'ils seront moins au fait de l'archéologie de leur profession.Certains termes dont quelques-uns sont restés dans la langue usuelle, sont désormais tellement hors d'emploi à bord, qu'ils y paraissent au moins ridicules.

 Le langage des marins est un terrain fertile.

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